Lettres de Fernand Baldet à ses parents depuis le Pic 1909

4 septembre 1909, Bordeaux

Je suis pour 3/4 d'heure dans Bordeaux. Me voila, après une assez bonne nuit, devant un café au lait qui achèvera de me remettre d'aplomb. Le train a bien marché (75 à l'heure), et est arrivé à 6h1/2. J'ai dormi ou plutôt sommeillé jusqu'à 5h ce matin et n'ai pas du tout sommeil. A Tours nous étions 8 dans le compartiment, mais à la fin il n'y avait plus que quelques personnes à Bordeaux. Je reprends le train à 7h33. Mes impressions sur Bordeaux sont plutôt vagues on est passé par chemin de fer sur un énorme pont. La Garonne ou Gironde est très large avec des voiliers.

4 septembre 1909, Tarbes

Depuis ce matin 7h33 jusqu'à midi j'ai voyagé à toute vitesse de Bordeaux à Tarbes. J'ai été déjeuner dans un restaurant en face de la gare au prix de 2,50. Quel repas! C'est digne de Pantagruel. On m'a servi 8 hors d'oeuvre en abondance, 3 plats de viande avec des légumes, deux desserts, 1 café. Tout cela était présenté dans d'énormes casseroles en cuivre où je puisais à ma fantaisie. On ne vous laisse pas mourir de faim à Tarbes. Comme boisson ils m'ont servi deux litres de vin un blanc et l'autre rouge. Je n'ai bu que du rouge il était tout-à-fait supérieur et plutôt fort en alcool! Enfin je vais engraisser! J'aperçois déjà à l'horizon d'énormes masses semblables à des nuages, ce sont les Pyrénées. Mais je vous quitte car je vais prendre mon train à 1h12.

4 septembre 1909, Bagnères

Je suis arrivé à 2h à Bagnères, émerveillé au delà de tout ce que vous pouvez imaginer sur la grandeur du spectacle qui s'offre à nos yeux. Rien ne saurait vous décrire l'amoncellement de roches qui semblent escalader les cieux; c'est fantastique. Il n'y a pas de neige mais des nuages. M. Marchand m'a reçu dans son cabinet de travail avec beaucoup de sympathie. Nous avons causé longtemps. Puis j'ai téléphoné avec M. Cosserat [au Pic] : l'instrument est complètement terminé et le Directeur me conseille de monter immédiatement. Tous les bagages sont en gare depuis midi. Si le voiturier le peut, nous partirons ce soir pour Gripp et, après une bonne nuit, on fera l'ascension du Pic.

6 septembre 1909

J'avais quitté Bagnères en voiture avec tous les colis pour l'hôtellerie de Gripp qui se trouve sur le chemin du Pic. J'y arrivais à 8h du soir. Le ciel était couvert. En arrivant je dînai tandis que mon cocher arrangeait ses chevaux pour passer la nuit. Le souper fut copieux il y avait potage, plats de viandes, truites fraîches pêchées dans l'Adour, légumes, desserts, 2 litres de vin et du pain de montagne qui est excellent.

Après une bonne nuit je me mis en marche le lendemain matin à 7h pour le Pic. On m'avait de partout conseillé de ne pas faire l'ascension à pied, la fatigue. le froid, l'altitude peuvent vous abattre. Je partis donc à cheval avec un guide, puis un mulet chargé de victuailles prit les devants, il connaissait le chemin aussi bien que le guide. On commence par prendre la route qui va au chalet où se trouvent les approvisionnements de l'Observatoire. Cette route taillée à même le roc serpente en s'élevant sans cesse et arrive en vue de quatre cascades à côté du chalet. Ces cascades sont énormes. Il y a du reste des cascades à chaque tournant de route qui tombent de près de 1000m de haut en bondissant de pierre en pierre.

La route continue pour franchir le col du Tourmalet mais nous l'abandonnons pour prendre un sentier minuscule qui nous conduira au Pic. Jusqu'à présent je n'ai pas vu le Pic, il est caché par des montagnes plus petites qui bordent la route. On monte toujours, le cheval marche tranquillement, le panorama s'agrandit insensiblement, les hauts cols des Pyrénées émergent peu à peu des montagnes qui les cachaient et brusquement, à un détour du sentier, un pic formidable et sauvage aux pentes presque verticales et tachées de neige en de nombreux endroits élève son bloc grisâtre bien au dessus des autres montagnes. C'est le Pic du Midi dont nous allons entreprendre l'ascension.

La première impression ressentie devant ce pic est qu'il devait être infranchissable. A la pensée qu'on a pu percher un observatoire là-haut on est saisi d'admiration. Le matin était très pur, mais peu à peu les nuages s'amoncellent au dessus de nos têtes et nous cachent en quelques instants le sommet. L'ascension continue et vers 10h du matin nous arrivons aux premières neiges. Il ne fait pas froid du tout. Cependant le vent commence à se faire sentir. D'après ce que je puis en juger, nous serons au sommet dans une demie heure, mais le guide me détrompe et me dit que nous en avons encore pour 2h 1/2! Et encore faudra-t-il bien marcher.

Maintenant nous avons quitté les prairies nous marchons au milieu de rocs qui se dressent verticalement à 500m au dessus de nos têtes. L'émerveillement augmente à mesure que nous montons. Si je dois avoir le mal des montagnes, je l'aurai à partir de l'hôtellerie, petite auberge qui se trouve au pied du Pic. A 11h nous y arrivons je ne ressens rien du tout, j'ai faim et je partage avec le guide un peu de pain et de jambon pris à l'hôtellerie.

Maintenant la partie délicate de l'ascension va commencer. On s'engage sur les flancs du Pic par un sentier en lacets. A mesure que nous montons le panorama se déroule dans toute son immensité. A nos pieds le lac d'Oncet étend ses eaux bleues. Le ciel est complètement couvert et l'on ne voit pas l'Observatoire. Durant toute l'ascension je n'ai pas eu le vertige, cependant le cheval et le mulet s'obstinaient à suivre juste le bord du sentier en lacets, le moindre faux pas et nous dégringolions de 3 ou 400m dans le lac. C'est arrivé à un guide qui, ayant bu beaucoup, est tombé de 500m.

Enfin nous arrivons bientôt dans les nuages, nous sommes à 2600m. Un vent épouvantable et glacial nous envoie les vésicules d'eau du nuage en pleine figure. Je m'entoure la tête avec le passe-montagne, les jambières en drap me préservent beaucoup. Vous n'avez aucune idée de ce que c'est qu'un vent violent! Nous avançons pliés en deux. On ne voit pas à l0m devant soi. Nous sommes dans la nuit blanche. Le vent hurle et chasse avec une vitesse folle les lambeaux de brouillard qui se perdent en tourbillonnant.

Enfin après une demie heure nous arrivons devant un mât de paratonnerre et brusquement devant moi à 5m, estompée dans le brouillard, la coupole! J'eus une certaine émotion de voir ainsi apparaître cette coupole, but de mon voyage. Tout de suite on vient à ma rencontre. Je descends de cheval et je rentre dans une galerie en ogive où règne une douce chaleur. M. Cosserat est là, présentation aux personnes de l'Observatoire météorologique et tout de suite, en attendant le déjeuner, on me mène voir l'instrument. Quel magnifique équatorial! C'est splendide, c'est immense, la lunette pèse seule 2000kg. Tout réunit les derniers perfectionnements. Vraiment je n'ai pas de désillusion cela dépasse toutes mes espérances; avec cela on pourra travailler sérieusement.

Un domestique en tenue nous annonce ”ces messieurs sont servis”. On passe à table, nous sommes cinq avec M. Lelièvre qui est tout-à-fait sympathique. Le déjeuner est aussi abondant qu'à Tarbes. Quand on est enfermé au chaud, on ne croirait pas être sur le Pic! Les locaux d'habitation sont immenses. Ma chambre très chaude est grande comme celle de Paris. J'ai un bon lit avec 4 couvertures.

L'après-midi le temps est assez mauvais. J'ai travaillé avec ardeur au déballage de la grande caisse et de la malle. Tout est en excellent état. Le soir, dîner beaucoup trop copieux. On boit du vin rouge et de l'eau de St Galmier car l'eau des neiges est malsaine.

Le ciel se découvre brusquement et j'ai devant les yeux le spectacle le plus inimaginable qu'un astronome puisse rêver. La Voie Lactée est étincelante, les étoiles brillent comme des phares. Le ciel est blanc d'étoiles et leur éclat est suffisant pour éclairer les nuages qui sont à nos pieds. Je monte dans ma chambre pour me couvrir, je vois une vive lueur qui éclaire la vitre, c'est Mars!

En arrivant à la coupole où se trouvent MM Cosserat et Lelièvre, je sens brusquement une sueur froide qui m'inonde; la tête me tourne, les oreilles sifflent, c'est le mal des hauteurs. 2 min après, tout a disparu, mais je vais me coucher ça arrive à tous ceux qui travaillent la première fois au Pic. On a beaucoup moins de forces que dans la plaine. Le moindre effort essouffle, mais on n'en souffre pas. C'est le manque d'oxygène.

Ce matin, après une nuit excellente, j'ai vu la plus belle mer de nuages que l'imagination humaine puisse rêver. Nous sommes en plein soleil et l'on télégraphie de Bagnères qu'il pleut! Enfin je suis enchanté, émerveillé de tout et de tous. Les Pyrénées neigeuses, le glacier de Néouvielle, le Balaïtous, le Mont Perdu, la Brèche de Roland, le cirque de Gavarnie, sont devant mes yeux. Les nuages immobiles couvrent les plaines jusqu'à l'horizon. La santé est excellente.

Le parquet est installé. Il y a trois escaliers. Ils ont bien fait les choses.

7 septembre 1909

C'est hier au soir que j'ai pour la première fois observé dans l'équatorial.

Jamais je n'aurais imaginé de pareilles splendeurs. Mars avec sa calotte polaire et ses canaux, et Saturne avec ses anneaux ne sont pas du tout comparables a ce que l'on observe en plaine. Maintenant je ne doute pas du succès de la mission. Je pense obtenir de magnifiques photographies.

Je suis tout-à-fait acclimaté à. l'altitude. Le ciel est très beau, la mer de nuages s'étend toujours à nos pieds, on ne se lasse pas de la regarder. Il ne fait pas froid. Dans ma chambre si bien et si confortablement arrangée j'ai 10 ou 110. L'air est si sec qu'on a l'impression d'avoir une température de 180! Au besoin j'ai au pied du lit un poêle Godin qui marche admirablement et qui est allumé de suite.

La nourriture est à mon avis trop abondante. Tous les jours on monte des légumes frais et des animaux vivants. On a monté hier un petit agneau qu'on va manger ce soir. La pauvre petite bête se promène au milieu des poules et des lapins qui se promènent sur la terrasse, sans se douter du sort qui l'attend. Le matin je suis réveillé par le chant du coq. Vers 8h le domestique qui sert à table appelle pour le petit déjeuner on mange du jambon cuit dans je ne sais pas quoi, puis du fromage, du beurre, le tout arrosé de vin, puis on boit le café. A midi il y a du saucisson, des sardines, puis 3 plats de viande. des légumes frais, toujours du poulet qu'on a tué le matin, des fruits, poires, pêches, raisins, le café, pousse-café. Le soir on recommence. Mais le soir il faut se modérer si l'on veut dormir et ne pas souffrir de l'altitude. De là je vais avec M Lelièvre dans la coupole et nous observons. Aujourd'hui on monte l'appareil photographique.

Hier on a reçu M. le recteur de l'Université de Toulouse, M. André, astronome à Lyon, avec sa fille, M. Marchand, le fils de M. Cosserat, puis M Crémieux de la Sorbonne, un autre jeune homme. Vous voyez tout ce monde à table! On avait monté un gâteau monumental. On m'a présenté et le soir je leur ai fait observer Mars et Saturne ils ont poussé des cris d'admiration!

On a observé sur la mer de nuages un coucher de soleil fantastique dont tout le monde se souviendra. Les nuages devenaient couleur cuivre, à l'opposé l'ombre mauve de la terre se levait dans le ciel avec l'ombre du Pic, Vénus brillait au couchant, le glacier du Néouvielle était bleu.

Ce n'est pas moi qui fait mon lit, il y a 3 domestiques l'Université de Toulouse a bien fait les choses.

Ce soir, M. Cosserat et les personnes invitées qui venaient officiellement pour l'inspection de l'Observatoire s'en vont, nous allons être bien tranquilles.

L'Observatoire est entouré complètement de garde-fous, car c'est à pic, mais comme on est bien sur la terrasse.

8 septembre 1909

Hier après-midi je me suis installé pour développer les plaques. J'ai commencé par développer les miennes qui ont donné de mauvais résultats. L'obturateur n'avait pas très bien fonctionné, les bains étaient trop froids,..., etc. Je suis obligé de faire chauffer tons mes bains pour avoir un résultat.

L'après-midi vers deux heures, tous les invités de l'Observatoire sont descendus. La pluie a commencé à tomber vers 8h. Mais avant, le météorologiste, M. Latreille, nous avait prévenu que les galvanomètres indiquaient une forte charge d'électricité. A l'horizon du côté de l'Espagne des bandes noires déchiquetées s'avançaient nous allions assister à un orage. La coupole dans laquelle on installait l'appareil photographique étant ouverte, on se précipita pour la fermer et tout de suite on mit le câble pour la foudre qui plonge dans le lac d'Oncet en communication avec elle. Maintenant on était tranquille. L'orage ne se déchaîna pas tout de suite, il suivait la frontière espagnole.

Le soir, lorsque la nuit vint, les éclairs jaillissaient sans interruption mais sans bruit. Après le dîner M Latreille qui était sorti pour faire des observations revint brusquement dans la salle à manger en me criant M Baldet, venez voir dehors. Et dehors dans une nuit noire sillonnée par la foudre je vis les pointes de deux des paratonnerres qui entourent l'Observatoire illuminés électriquement. On voyait une lueur bleue qui les dessinait dans l'obscurité. C'est ce qu'on appelle le feu de St Elne. Aucun coup de foudre ne tomba sur l'Observatoire, nous échappions à l'orage. Niais le vent hurlait et, comme ma chambre est sous un toit en zinc, il me fut impossible de m'endormir. Je me levai et m'en allai coucher à l'Observatoire météorologique qui est tout en pierre.

Je dormis fort bien et ce matin en m'éveillant j'ai entendu encore le vent qui avait augmenté de vitesse. Vous n'avez aucune idée d'une pareille force. La vitesse mesurée à l'anémomètre donne des vitesses qui dépassent par instants 50 m à la seconde. Le vent n'est plus un gaz, il ressemble à un bloc de pierre qui s'abat sur l'Observatoire. Tout vibre. J'étais sorti sur la terrasse pour contempler les nuages déchiquetés au dessus des grands pics, le spectacle est grandiose. La mer de nuages, si calme hier, est maintenant déchaînée. Nous avons cependant du soleil. J'ai lâché en l'air un morceau de bois gros comme la main il s'est envolé comme un fétu de paille. Des morceaux d'ardoise que j'ai jeté en l'air ont été happés par le vent et sont partis à toute vitesse visiter d'autres pics.

Dès aujourd'hui je change de chambre j'irai désormais coucher dans l'ancienne chambre de M. Cosserat où là je n'entendrai pas le bruit du zinc au dessus de ma tête. Ma santé est tout-à-fait excellente, si bien que je prends un véritable plaisir à contempler ces phénomènes grandioses. Avant-hier au soir on voyait le phare de Biarritz briller à l'horizon comme une étoile.

9 septembre 1909

Ce matin après une nuit d'orage et d'éclairs aveuglants je me suis éveillé devant le Pic tout blanc de neige. Nous sommes dans la nuit blanche. Un brouillard opaque nous enveloppe et la neige qui tombe sans arrêt efface les contours des objets. A l'intérieur de l'Observatoire il règne une bonne température car tous les poêles sont allumés. Les Parisiens ne se doutent guère que nous sommes ensevelis dans la neige!

Hier on a tué le petit agneau et au dîner nous avions le pot-au-feu, un poulet, des haricots, un gigot du petit agneau, de la salade, des fruits, du café et du tilleul, pour 4 personnes. Comme il n'y avait rien à faire, on est allé se coucher à 9h. J'ai changé de chambre et suis vraiment bien. De grandes armoires contiennent tous les objets emportés bien à l'abri de l'humidité.

Ce matin au petit déjeuner on avait du saucisson, du pâté de volaille, du beurre, du fromage de Roquefort et de Gruyère, du vin et du café. Les météorologistes disent que lorsque la neige va cesser nous aurons des images magnifiques. Tout est installé pour photographier Mars, je n'attends plus que le beau temps.

11 septembre 1909

Le vilain temps continue au sommet, le vent est très violent, je croyais qu'il allait emporter la fenêtre cette nuit. La neige est tombée encore hier. Je n'avais pas encore vu la plaine car elle était toujours cachée par la mer de nuages. Cette fois, la mer a. disparu et à perte de vue on distingue les villes, les villages, mais pour voir les maisons il faut avoir une bonne vue. C'est tout-à-fait joli. Où est le pauvre petit panorama qu'on voit de la tour Eiffel?

La nuit on voit les lumières de Bagnères, Luchon, Tarbes. L'horizon du haut du Pic s'étend à près de 200 km! Toulouse nous voit fort bien et il est arrivé de voir du haut du Pic l'Océan qui est à 200 km.

Je couche toujours dans la chambre qui a vu MM Cosserat et Ba.illaud. Je suis fort bien, le lit a 5 couvertures de laine, plus la peau de bique. Depuis deux jours j'ai de jolies fleurs de glace aux carreaux. Ce matin en m'éveillant j'ai vu les Pyrénées toutes blanches de neige. Mon appareil stéréoscopique donne des résultats magnifiques, je vais rapporter une jolie collection. Le soir, comme il faisait vilain et que nous ne pouvions pas observer, on est descendu avec M Lelièvre à la cuisine et là devant une cheminée où flambaient de grandes bûches nous passons la soirée en buvant du vin chaud au citron. La nourriture est toujours abondante. Les poules sont enfermées, on entend le coq chanter toute la journée; on ne peut pas les laisser sortir à cause du vent; l'année dernière un jeune poulet a été enlevé par le vent.

Je suis tout-à-fait acclimaté au Pic. Quoique la température soit assez basse, généralement en dessous de zéro, on n'a pas froid parce que l'air est extrêmement sec. Seulement les lèvres sont gercées par suite de cette grande sécheresse. Dans ma chambre j'ai 5 degrés. A Paris on gèlerait, mais ici je n'ai même pas froid aux mains. Il est vrai que je suis bien couvert. Je porte le caleçon et le tricot, mais pas de pardessus, il ne fait pas assez froid. J'ai toujours les jambières en drap, c'est très pratique.

Comme vous le voyez, tout va pour le mieux et je voudrais bien avoir du beau temps, mais on m'a prévenu avant de monter, il faut avoir de la patience. M de la Baume m'envoyait une dépêche il y a deux jours pour demander de mes nouvelles. J'espère qu'il sera bientôt là. Je lui ai écrit déjà trois fois, mais les lettres doivent mettre beaucoup de temps pour arriver; jusqu'à présent je n'ai pas reçu une seule lettre de Paris. Le facteur vient tous les deux jours, les mardi, jeudi et samedi.

13 septembre 1909

La neige est tombée hier et cette nuit sans discontinuer. Ce matin, l'Observatoire est enseveli sous la neige qui monte par endroits à plus de 40 cm. Le givre se dépose sur tous les fils en donnant aux paratonnerres des aspects de bâtons blancs. Le thermomètre marque 3 en dessous. Dans l'Observatoire les poêles ronflent. M de la Baume est arrivé hier à Bagnères, nous avons causé par le téléphone, il m'a demandé si je ne m'ennuyais pas. Il est impossible de s'ennuyer car on monte sur l'équatorial les instruments que j'ai apportés, et le reste du temps je fais de la photographie.

Ma santé est excellente, je ne sens pas le froid. C'est assez étonnant, on croirait par instants qu'il y a douze degrés quand le thermomètre marque - 4° Il pleut dans la vallée. M de la Baume ne montera que demain matin.

Les menus sont toujours variés et abondants. Hier nous avons en des tomates farcies, du civet, du poulet, des pommes de terre, des petits pois, de la salade, des raisins, pêches et poires, du potage; on se laisse vivre, en regardant tomber la neige.

Cependant le temps va changer, le ciel s'éclaircit, le soleil apparaît et bientôt peut-être pourrai-je faire des observations.

(...)Je vis habituellement avec M Lelièvre qui est tout-à-fait sympathique. Il doit partir quand M de la Baume arrivera. Je n'y tiens pas, car il faut être deux pour manoeuvrer la coupole et l'instrument. C'est lui qui évidemment connaît le mieux la manœuvre puisqu'il a monté l'équatorial. Peut-être nous arrangerons-nous avec M de la Baume pour le garder.

L'ascension de mes colis (180k) et la mienne avec les deux repas et la nuit à. Gripp m'a coûté 57f. Pour un observatoire de Montagne, ce n'est pas cher. Au Mont-Blanc, j'aurais payé 700f au minimum. J'avais 3 mulets et un cheval et deux hommes, plus le dîner du cocher. Je n'ai pas encore payé le cocher, ce sera pour le retour; c'est lui qui m'a conduit de Bagnères à Gripp, soit 25f environ.

A midi le soleil apparaît, la neige est éblouissante, cependant le temps est encore incertain.

15 septembre 1909

La neige qui tombait ces jours derniers sans interruption s'est arrêtée hier, les brouillards ont disparu pendant le dîner et nous avons eu le très grand plaisir de revoir enfin le ciel étoilé.

J'allais procéder aux premiers essais de photographie planétaire. Je n'insisterai pas sur les détails des opérations qui sont assez délicates. Aidé par M Lelièvre, puisqu'il est impossible de manoeuvrer seul l'instrument ainsi que les trappes de la coupole, j'ai obtenu 14 photographies de Mars en posant 1 sec seulement pour chacune d'elles, et 7 photographies de Saturne avec des poses de 4 à 7 sec. Je me proposais en faisant ces photographies de déterminer la mise au point et le temps de pose; elles me donnent bon espoir pour la suite. On distingue admirablement les calottes polaires de Mars et les anneaux de Saturne.

Monsieur de la Baume avait encore retardé son ascension à cause du vilain temps, mais ce matin il est parti de Bagnères à 9h et sera ce soir à 6h au sommet du Pic. C'est assez loin comme vous le voyez.

Ma collection de clichés stéréoscopiques monte petit à petit. J'ai catalogué tout à l'heure le 33ème. Les 7 derniers sont amusants j'avais entraîné tout le personnel de l'Observatoire avec les muletiers et le facteur dehors dans la neige et là nous avions monté un grand bonhomme de neige que l'on avait habillé, coiffé, affublé d'oripeaux, de lunettes et d'un drapeau, puis l'on avait guidé les mulets autour du bonhomme, les personnes les avaient enfourchés, un domestique avait déployé un vieux parapluie en baleines, était grimpé sur un mulet et avait sonné dans un cor de chasse un hallali retentissant. Des touristes venaient à ce moment visiter l'Observatoire, ils se sont autant amusés que nous. Pour clôturer cet événement on a balancé le bonhomme par dessus les escarpements du Pic où il s'est brisé, pulvérisé et a disparu dans le gouffre rempli de nuages en entraînant dans sa chute des blocs de pierre et des paquets de neige.

(...) Il est assez facile de se procurer [des timbres] au sommet par le facteur qui monte tous les deux jours.

On aperçoit de temps en temps des vautours qui planent autour du Pic. Quels merveilleux aéroplanes.

17 septembre 1909

M de la Baume est arrivé avant-hier. Heureusement la soirée a été belle sans être magnifique cependant. Nous avons observé Mars et Saturne et nous les avons photographiés. Les résultats sont encore meilleurs que ceux obtenus la veille. Si nous jouissions ici d'un beau ciel chaque soir, nous pourrions avancer très rapidement, atteindre sans beaucoup de mal la finesse et les contrastes des photographies martiennes de M Lowell et, j'en ai le ferme espoir, les dépasser. Il n'en est malheureusement pas ainsi; après deux soirées de ciel ordinaire, la grêle s'est abattue sur le Pic et la neige le recouvre de son manteau blanc qui s'épaissit d'heure en heure. Le soir nous sortons dans le brouillard pour nous amuser au jeu des projections électriques sur la neige.

Puisque le ciel nous refuse ses étoiles, le laboratoire de photographie devient un asile hospitalier qui me reçoit souvent. Je dois à la vérité de vous dire que la pièce obscure à laquelle on avait donné le nom de laboratoire de photographie était un lieu fort humide car il n'avait jamais vu le feu clair d'un bon poêle; la poussière elle-même n'avait dû être dérangée qu'en de rares intervalles; les flacons inutiles encombraient des planches mouillées et les plaques de grand format qu'on y avait déposées en abondance depuis 1889 s'étaient imbibées de moisissures. Le seul travail qu'on exécutait dans cette mauvaise atmosphère était le développement journalier du papier photographique de l'enregistreur magnétique.

Je demandais la permission de monter un poêle. L'Observatoire météorologique fut très serviable. Un vieux poêle qui se rouillait dans une resserre fut apporté, démonté, nettoyé. La cheminée qui par bonheur débouchait dans cette pièce fut ramonée par un des domestiques, les planches garnissant le mur furent sciées pour laisser passer le tuyau et enfin pour la première fois un bon feu de coke élevait la température et chassait l'humidité. Toutes les planches furent nettoyées, on retira un seau de poussières, les flacons furent enlevés, la table aux cuvettes lavée. D'une planche je fis un banc de photométrie et enfin de bonnes photographies furent faites. Les météorologistes qui depuis 20 ans n'avaient pas osé souvent faire de la photographie furent enchantés. Ils commencèrent à sortir de grandes caisses remplies de douzaines de plaques datant de 1889 et les mirent à sécher, je leur demandais la permission de les étudier, profitant de cette aubaine de voir si les plaques de 1909 sont bien meilleures que celles de 1889. Dès aujourd'hui je vais faire les essais. Les météorologistes ne demandent pas mieux; ne sachant pas ce que ces plaques valent, ils n'osent pas s'en servir. Je les renseignerai. M de la Baume reste avec moi pendant pas mal de temps et M Lelièvre partira dans quelques jours.

Ma santé est excellente. On ne sent pas du tout le froid. La nourriture est encore plus abondante. M de la Baume conseille de ne pas faire autant de cuisine. Lui-même avait apporté du lait concentré, de l'essence de café, du rhum, du sucre, il ne se doutait pas qu'on était aussi bien. L'instrument l'a surtout émerveillé. Nous sommes dans le plus bel observatoire de France et peut-être d'Europe.

J'ai une blouse blanche pour le labo photo, je l'avais demandée à. M de la Baume.

M de la Baume commande à Paris tout un arsenal pour la photographie de l'orange dans le spectre. Il voit que l'Observatoire est sérieux et que l'instrumentation vaut la peine.

19 septembre 1909

Je reçois votre lettre charmante et en même temps la nouvelle de la découverte de la comète de Halley. Kannapell nous en a envoyé la position dans le ciel et peut-être malgré son faible éclat pourrons-nous la photographier? Nous essaierons. Nous avons eu une très belle soirée pendant laquelle j'ai pu faire un dessin de Mars. Ce que l'on voit de notre observatoire si élevé est bien supérieur à ce que l'on observe en plaine. En un seul dessin j'ai obtenu tous les détails que Flammarion a tracés sur sa carte qui résuma des années d'observations par un grand nombre d'observateurs. C'était plus exactement le matin que l'observation a été faite. Jusqu'à minuit nous étions restés avec M. de la Baume dans la bibliothèque près du feu. Le ciel était complètement couvert, un fort brouillard enveloppait le Pic mais peu à peu le brouillard est descendu, les étoiles sont devenues plus en plus brillantes et nombreuses et vers minuit 1/2 la mer de nuages s'étendait à nos pieds. Le dessin a été fait vers 3h du matin. Puis vers 4h nous avons observé Saturne et enfin dans les premières lueurs de l'aube le télescope a été dirigé vers la grande nébuleuse d'Orion c'était merveilleux! L'aube grandissait vite, nous n'étions plus qu'à une heure du lever du soleil et l'on attendit sur la terrasse. L'horizon occupé par une bande de nuages très bas était coloré en vert, en rouge, en bleu violacé. Les glaciers devinrent mauves, le fond des vallées s'éclaira peu à. peu d'une lueur violacée et dans la plaine immense, dans la plaine de 200 km de rayon, les villes, les champs, les collines, les vallées apparurent peu à peu. Enfin le soleil apparut brusquement, il s'éleva comme un ballon rouge, son éclat devint très vif et les névés les glaciers resplendirent du plus beau rose tandis que les roches devenaient rouges. Vers le Pallas l'ombre du Pic noir bleue s'élevait dans le ciel; Mars brillait encore. Je ne crois pas que l'on puisse par la plume retracer une pareille féerie. Dans la journée nous avons vu le spectre de Brocken on tourne le clos au soleil et l'on voit son ombre se profiler sur le brouillard tandis qu'autour de sa tête on voit des auréoles vivement colorées c'est très joli. Au même moment, au dessus de nous il y avait un petit nuage effiloché qui était d'un vert brillant dans son milieu et bordé du rose le plus vif tout autour.

Ces faibles descriptions vous montreront que le Pic est le paradis de l'astronome et du météorologiste. L'ascensionniste qui reste une heure au sommet du Pic n'a aucune idée de la montagne; pour la comprendre il faut y vivre, il faut avoir senti la foudre vous envelopper, le vent se ruer comme une trombe à l'assaut des bâtiments que l'homme y a élevé, il faut avoir vu chaque jour les nuages en mouvement, le brouillard opaque et la neige abondante recouvrir les sommets de sa blancheur admirable mais surtout il faut avoir vécu la nuit devant le ciel lumineux à force d'étoiles, tandis que dans les villes éclairées à nos pieds tout le monde se repose.

21 septembre 1909

Aujourd'hui mes nouvelles seront quasi-télégraphiques le ciel est beau et il faut en profiter. Je me prépare à photographier une grande tache solaire. Ces derniers soirs le ciel a été pur, nous avons travaillé...Dimanche nous avons fait une excursion avec M. de la Baume, nous avons vu et photographié des murailles verticales qui descendaient à pic sur près de 1500m. On a jeté des pierres de 200m de haut dans le lac d'Oncet elles roulaient d'abord puis au bout d'une cinquantaine de mètres commençaient à faire des bonds prodigieux pour terminer leur course par des ronds magnifiques dans le lac.

23 septembre 1909

Le soleil joue à cache-cache et nous laisse à l'instrument quand on va le photographier. Les nuits sont orageuses, impossible d'observer. En ce moment on escompte une éclaircie. Je vais essayer des plaques photographiques que j'ai préparées.

27 septembre 1909

C'est toujours à la hâte que je vous envoie les lettres. Nous avons passé une nuit superbe c'est la première où nous nous sommes servis des instruments que nous avons établis forts jolies photos que vous verrez au retour. Nous avons pu photographier les mers de Mars, les différents anneaux de Saturne, les détails des mers lunaires et la grande nébuleuse d'Orion.

La mer de nuages est à nos pieds et la nuit lorsque la lune la caresse de sa manière argentée on a devant les yeux une féerie incomparable. M. de la Baume part demain. Si le ciel continue à être beau je fais allonger la durée du billet. Sinon je pars avant le 5 Oct.

La foudre est tombée sur l'Observatoire avant hier à 2h du matin. Quel accumulateur d'électricité! Dans la nuit les cheveux la barbe sont lumineux!

29 septembre 1909

Depuis deux jours j'ai obtenu des photographies de la planète Mars qui valent celles de M. Lowell. Pendant 2 nuits consécutives j'ai photographié Mars. A l'heure actuelle les photos de la planète montrent de très fins détails j'ai les canaux! Et pas un seul mais bien toute une série de canaux. Vous dire tout mon contentement serait puéril mais certainement vous le partagerez avec moi. M. de la Baume a quitté le Pic hier. Il a pu voir ces jolies photographies et il en est très content. Pensez donc M. Lowell avec ses photographies dont le retentissement a été considérable dans le monde entier était considéré comme un phénix! Tout le monde lui donnait la palme. Et bien aujourd'hui nous avons atteint ce qu'il a fait et je puis vous le dire d'après des expériences faites ces jours-ci je crois que l'on surpassera de beaucoup ce qui a été obtenu jusqu'à ce jour si le beau temps nous favorise. Oh! J'aurais été bien heureux de rentrer, de vous voir dans les premiers jours du mois prochain mais devant de pareils résultats je reste; déjà M. de la Baume a fait prolonger mon billet ce matin.

C'est une ou deux semaines de séparation de plus dont je suis le premier à en regretter la tristesse mais aussi an retour quelle moisson abondante! Quel plaisir que de pouvoir dire à tous les collègues de la Société qui me demanderont non sans une pointe d'ironie “Eh bien qu'avez-vous fait de sensationnel au Pic? Avez-vous vu les canaux? Et vos photos? “ “Oui, répondrais-je. Je les ai les canaux regardez! “

Et puis je vous rapporte une collection de stéréoscopies dont vous me donnerez des nouvelles. Il n'y a qu'un point noir dans tout ce joli tableau c'est le manque de beau temps. Il fait habituellement très vilain au Pic mais quand le ciel se dégage c'est merveilleux. Il faut de la patience.

Je vous quitte pour construire le nouvel instrument qui doit — je le suppose — me donner de jolies photos de Mars.

M. de la Baume m'a déjà annoncé que, probablement, l'année prochaine je retournerai au Pic et en hiver j'irai en Algérie. Si je n'avais pas eu la Sorbonne cette année il m'y envoyait.

1 Octobre 1909

Le mauvais temps est revenu, cependant j'ai pu observer jusqu'à 2h 1/2 ce matin sans rien obtenir de nouveaux. Aujourd'hui le vent souffle. J'étudie les photographies dont je vous ai causé et je retrouve presque tous les détails portés sur la carte de Flammarion.

J'ai fait porter à Bagnères mon linge et mes bottines. Les bottines vont être fortement cloutées pour la descente. H est en effet fort probable que d'ici quinze jours la neige montera à l m sur le Pic; le sentier aura disparu. Nous descendrons par le plus court chemin et il ne faut pas glisser!

3 Octobre 1909

En hâte deux mots. Il fait un temps épouvantable brouillard et pluie. Je viens de donner de nombreux détails à M. de la Baume sur les photos de Mars. Ma santé est excellente.

Tout est prêt pour la première soirée de beau ciel.

Le facteur va partir et j'abrège. Vous trouverez ci-inclus une des photos de Mars ce n'est pas la meilleure mais c'est la seule qui me reste. Je vous prie de ne la communiquer â personne.

Cette photo est une reproduction des négatifs de Mars. A elle seule, quoiqu'elle soit floue (j'en ai plus de nettes mais plus petites) elle vaut mieux que beaucoup de dessins.

Comparez cette photo avec les dessins de Quénisset, publiés dans le dernier bulletin de la Société, 1ère page, Septembre 1909 où la mer du Sablier se trouve dans le premier un peu à droite et dans le second à gauche, la planète ayant tourné, et vous verrez qu'elle présente plus de détails, et surtout de détails absolument certains. J'ai des photos d'une netteté admirable avec plus de 15 canaux!

5 Octobre 1909

J'ai pu essayer sur une tache solaire le nouveau système d'agrandissement qui va être utilisé pour Mars les résultats dépassent mes espérances, malheureusement l'éclaircie pendant laquelle j'ai pîî me rendre compte de la valeur du système employé a été de courte durée et aucune photo n'a été prise. Aujourd'hui j'ai ouvert la coupole mais une heure après sans avoir pu faire quoi que ce soit je la refermais précipitamment. Hier soir, la plaine était embrasée par les éclairs. Trois stéréos ont été pris mais ne sont pas encore développés.

Je reçois à l'instant des snowboots bien feutrés, avec de bonnes semelles en cuir que M. de la Baume m'a envoyé. J'ai essayé dans les rochers sur des escarpements fantastiques mes chaussures cloutées. On tient sur les pierres comme si on y était attaché. J'en rapporterai une belle collection de stéréo! Je reçois aussi de Paris 4 douzaines de plaques.

Les myosotis que vous trouverez dans cette lettre ont été cueillis à 2830m!

A l'instant même un paysan âgé de 80 ans vient de faire l'ascension du Pic. C'est lui qui a bâti la maison que l'on habita de 1873 à 1880. C'est un véritable tour de force! Il a signé sur le registre des visiteurs et m'a dit “C'est la dernière fois que je fais l'ascension

7 Octobre 1909

Le ciel depuis hier au soir dix heures est splendide. C'est aujourd'hui que je compte obtenir les résultats définitifs si le ciel se maintient. Je reçois par Quénisset, les photos de Mars de Lowell. Nous les avons égalées.

9 Octobre 1909

Le ciel depuis deux nuits s'est mis au beau, aujourd'hui il est splendide. J'ai obtenu d'excellents résultats en photo de Mars. Personnellement je crois avoir dépassé Lowell.

Aujourd'hui il fait un temps splendide et très calme. Le travail n'a rien de fatigant. M. Marchand le directeur de l'observatoire météorologique a mis à ma disposition un domestique qui fait tous les travaux durs et reste avec moi la nuit. La température est très douce on ne peut pas endurer de pardessus la nuit.

Le fils Baillaud est arrivé à midi.

11 Octobre 1909

En ce moment le ciel est d'une pureté extraordinaire. Les photos marchent bien mais comme je manque de plaques sensibles au jaune je vais en faire moi-même. J'ai plus de 500 photos de Mars. La plaine est d'une pureté merveilleuse, on voit les Montagnes Noires du Tarn.

J'ai vu hier au soir Mars comme un dessin tellement il était calme. On distinguait les canaux comme s'ils auraient été dessinés à la plume. Le dessin que vous m'avez envoyé est bien loin de la réalité! C'est à peu près cela mais comme forme c'est tout autre. Cet astronome n'a pas dû observer Mars cette année, il a chipé un vieux dessin.

M. de la Baume ne m'a pas payé encore. Ce sera pour le retour sans doute.

13 Octobre 1909

Le beau ciel qui favorise le Pic du Midi m'a permis d'obtenir des photographies de Mars qui sont meilleures que celles obtenues précédemment. On distingue tous les détails portés sur la carte de Flammarion.

Aujourd'hui le ciel est encore assez pur et ce soir j'espère obtenir des photographies de Mars plus grandes que les précédentes : elles montreraient alors plus de détails.

Vous voyez qu'on ne perd pas son temps au Pic. Je vais rapporter une jolie collection et surtout avec les nouvelles photographies une collection présentable.

15 Octobre 1909

Le ciel s'est remis au beau et peut-être ce soir pourrai-je obtenir de bonnes photographies de Mars. Je vois que Juvisy commence à devenir un lieu un peu encombré.

Ayant beaucoup de travail à faire je ne lis pas un journal régional que l'on reçoit. Songez que les plaques photographiques que nous avait livré une maison anglaise sont épuisées. Ce sont les seules qui conviennent pour la photographie de Mars. Depuis hier je me suis mis à en faire; en effet par un bienheureux hasard j'avais emporté les produits nécessaires à leur fabrication avant mon départ. Les résultats ont dépassé tout ce que j'espérais. Les plaques préparées au Pic sont plus sensibles que celles que l'on nous a livré et n'ont ni taches ni stries, ni grains de poussière. C'est un souci dont je suis débarrassé car si je n'avais pas réussi leur fabrication je n'avais qu'a m'en aller.

Je les ai essayé sur Mars, elles permettent d'abréger le temps de pose. M. de la Baume aussi est inquiet, les photos de Mars l'intéressent vivement et il me demande dans une lettre que je viens de recevoir si je vais être à court de plaques. Il va être agréablement surpris de voir qu'une fabrique s'est installé an sommet du Pic.

17 Octobre 1909

Le beau temps continue toujours au Pic mais un beau temps relatif: les images ne sont pas bonnes malgré la pureté du ciel. D'un moment à l'autre nous devons nous attendre à une chute de neige qui ne fondra plus, elle préludera l'hiver et empêchera les mulets de monter.

Pour éviter tout ennui dans la descente des colis, j'expédie à Gripp, dans la vallée, ma malle bourrée d'optique, d'instruments fragiles et de petits accessoires. Il reste au Pic les gros instruments qui partiront jeudi et qu'il serait en tous les cas facile de descendre à dos d'homme, plus une partie de mon linge que l'on pourrait, si les circonstances l'exigent, descendre en un ballot.

M. Marchand m'a téléphoné qu'il ferait tout son possible pour me prévenir de l'arrivée des neiges. Pour l'instant le soleil brille sans auréole dans un ciel très bleu, la température est douce, la santé excellente.

Les photos de Mars s'accumulent, elles permettront de dresser une carte photographique précise.

Hier je suis allé avec M. Baillaud faire une petite excursion sur le Pic. Nous en avons rapporté une collection de stéréoscopies pittoresques.

Le directeur M. Marchand vient de me faire monter un appareil photographique du format 21cm x 27cm pour que je puisse prendre des photos. Il y a des plaques à l'observatoire.

19 Octobre 1909

Je fixe mon départ du Pic à dimanche. Le soir je serai à Bagnères, de là je passerai à Pau, Lourdes. Fort probablement je resterai un peu à Lourdes, car le chef du service météorologique ici est hôtelier à Lourdes, il y prend en ce moment ses vacances et m'a invité à le voir. (...).

Le ciel commence à mal tourner : la neige est arrivée hier, mais une petite neige de 3 ou 4 cm. Je voudrais avoir encore une belle soirée pour photographier sur Mars une petite région qui me manque et qui est seulement visible cette semaine. Si le beau temps le permet cette petite région sera photographiée et alors on aura tout le tour de la planète ce qui permettra d'en faire la carte.

Je fais de la photographie 18x24 tout va pour le mieux.

Ma santé est toujours excellente, il ne fait pas froid. A midi il fait soleil, la neige fond.

21 Octobre 1909

J'ai obtenu cette nuit des photographies de Mars qui surpassent tout ce que j'avais obtenu précédemment.

Les photographies montrent deux canaux doubles. Immédiatement je l'ai télégraphié à M. de la Baume. Aujourd'hui je reçois une de ses lettres dans laquelle il me dit qu'il est très intéressé des recherches que j'ai faites.

Je fabrique toujours mes plaques et c'est avec ces plaques que de semblables résultats ont été obtenus. Tu penses si je suis content.

La neige est un peu tombée mais elle fond maintenant, il ne fait pas froid du tout. Je vous quitte car tous les jours il faut fabriquer deux plaques, mon installation ne me permettant pas d'en faire un plus grand nombre à la fois.

Lettres de Fernand Baldet à ses parents depuis le Pic 1910

25 août 1910, Bagnères de Bigorre

Après une nuit confortable j'arrive à 10h15 du matin à Bagnères pa.r un ciel absolument pur et une chaleur terrible. J'ai vu MM Marchand et Cosserat qui m'ont bien reçu. Ce soir je pars pour Gripp. Le chemin étant déblayé j'entreprendrais l'ascension demain matin. Une partie de mes caisses montera seulement, faute de mulets. L'autre suivra samedi et dimanche.

26 Août 1910

Je suis monté à cheval en très bonnes conditions au Pic. Je ne souffre pas de l'altitude. La neige est plus abondante que l'année dernière mais elle n'a rien d'effrayant! J'ai bien déjeuné. Cosserat n'est pas monté, le facteur et un guide avec ma malle sont montés. Les caisses monteront demain. Le panorama est merveilleux, il y a la mer de nuages.

28 août 1910

Après le départ de la gare d'Austerlitz, le train prit de la vitesse, traversa Juvisy à 80 à l'heure puis un peu plus tard Etampes à plus de 100 km à l'heure. A partir de cette ville il fila comme un bolide. C'était prodigieux, jamais je n'avais marché aussi vite. Les arbres noirs qui se détachaient sur le fond légèrement éclairé d'un ciel très beau passaient avec une vitesse incroyable. Au bout d'un instant que je regardais par la portière les yeux me dansaient. C'était une sarabande de poteaux, d'arbres, de maisons, de gares, que nous passions en vitesse. Ces grands wagons sont admirablement suspendus. Aucune trépidation, un léger balancement et c'est tout. Je pris mon coin et m'endormis. Un arrêt, je m'éveille, regarde ma montre, il est minuit 20m. Nous sommes à Poitiers. Je suis suffoqué, et les autres stations Orléans et Tours? L'année dernière on était arrivé à Poitiers au petit jour.

A peine arrêté, le train repart, je somnole à nouveau. Nouvelle station, il est 3h40. Je demande où nous sommes : on me répond Bordeaux! Il fait nuit noire. La gare immense est lugubre. Et le train à peine arrêté repart. Cette fois il est attelé à une locomotive à sirène. Il traverse les Landes, je revois les petits pots de résine accrochés aux pins. Le jour se lève.

Ce balancement perpétuel du wagon m'a étourdi et puis je n'ai pas dormi. Je mange les sandwichs.

Ce n'est qu'à Puyoo après Dax que dans le lointain entre les collines j'aperçois la chaîne du Pic et enfin le Pic dominant l'ensemble s'estompe à l'horizon. A mesure que le train avance les montagnes apparaissent : il y a de grandes flaques de neige un peu partout. Nous longeons le Gave de Pau qui est plutôt un torrent aux eaux vives et blanches d'écume. Enfin nous voici à Pan. Le train si long à Paris ressort de la. gare quelques minutes après avec deux wagons seulement. Depuis Bordeaux on en décroche à chaque station.

J'aperçois en passant le château où est né Henri IV. Je pense un peu à ce pauvre Jean Lacaze qui dort de son dernier sommeil dans le cimetière de cette ville. Les montagnes deviennent de plus en plus belles. Je suis seul dans mon compartiment.

Lourdes. Je m'éveille à nouveau. Après Pau j'ai dû m'assoupir sans m'en apercevoir. Cette fois je suis saisi d'admiration. Le train est au pied de la chaîne et le Pic du Midi visible entre les hautes montagnes dresse dans un ciel absolument bleu sa cime grise tachetée de neige. On croît qu'on est à. côté. Dans la gare beaucoup de sièges roulants.

Enfin Bagnères de Bigorre, il est 10h15. Je ne vois plus le Pic caché par les premiers contreforts.

Aussitôt débarqué je porte le pardessus et le chronomètre marchant toujours très bien au restaurant Poupounet et je file chez Marchand. Il me fait bon accueil. Le mien est correct mais froid. J'attends qu'il me parle. — Je croyais, me dit-il, que vous ne viendriez pas aujourd'hui. Je lui réponds que je lui ai écrit mon arrivée. Il 1e sait mais ne croyait pas que c'était certain. Il n'a prévenu personne. Je ne bronche pas mais je sais ce que je vais faire. Sur ces entrefaits Cosserat arrive. Il me tend la main, s'affale sur une chaise et nous regarde alternativement, Marchand et moi, sans savoir quoi dire.

Je prends congé d'eux et me met à la recherche d'une voiture. A force de chercher j'en découvre une qui veut bien me conduire à Gripp pour 25F après marchandage. Je trouve que le prix est exorbitant. Il m'explique que le temps étant splendide tout le monde est allé se promener et que si je veux partir je n'ai qu'à payer. Et bien, je ne paierai pas et je partirai. Marchand finit par télégraphier à Campan et le facteur vient me chercher à 8h du soir avec une carriole. Les caisses sont en gare et Bran les prendra demain : c'est très économique. A 11h du soir j'arrive à Gripp par une très belle nuit. Les 17km de montée ont été parcourus en 2h 1/2. La malle était dans la carriole et le chronomètre sur mes genoux. La journée avait été suffocante de chaleur et l'on hésitait à traverser une place ou une rue tant le soleil dardait d'aplomb ses rayons.

Le lendemain matin par un beau temps j'ai fait l'ascension. Parti à 8h de Gripp je suis arrivé au sommet à une heure moins 1/4. J'étais à cheval et un mulet suivait chargé de ma malle et du chronomètre. On a été forcé de marcher sur la neige. C'est là que j'ai vu l'utilité de mes chaussures fortement cloutées. Elles me vont très bien et n'ont pas besoin d'être brisées. J'avais mis pied à terre ou plutôt sur la neige. Le guide qui me suivait (ainsi que le facteur) a porté ma malle sur son dos pour traverser une centaine de mètres de neige. Je tremblais à voir cet homme en équilibre instable sur des pentes de neige avec un pareil poids sur le dos.

Enfin tout est bien arrivé au sommet où j'ai eu une bonne réception et un bon déjeuner. Je ne me suis pas ressenti de l'altitude ou tout au moins infiniment moins que l'année dernière. Je peux monter un escalier en courant sans être essoufflé.

La coupole est en bon état.

Cosserat est monté avec quatre ouvriers pour faire ce qu ['il y] avait à faire.

Moi, j'attends mes caisses. J'ai envoyé le jour même de mon ascension tout ce qu'il fallait à Mailhat. Et maintenant je n'ai plus qu'à vous dire toute mon admiration pour le panorama vraiment fantastique que l'on voit du sommet. On ne peut pas quand on ne l'a pas vu en concevoir la grandeur écrasante.

La température le matin est 2 ou 3 en dessous de zéro et l'après-midi elle monte à. 5 ou 6 au dessus. Il a phi cette nuit. D'une façon générale il fait un vilain temps. En ce moment le vent souffle dur.

Ce matin dimanche il y avait 14 vautours qui planaient au dessus du Pic! On en a blessé un mais il est parti. Vous trouverez dans cette lettre une petite gentiane cueillie à 2500rn.

3 caisses viennent de monter. .T'ai maintenant tout ce qu'il faut pour travailler.

30 août 1910

J'avais oublié dans ma dernière lettre de vous dire où on m'avait logé. Ma chambre est dans l'Observatoire météorologique, et n'est donc pas celle de l'année dernière qui se trouvait à l'Observatoire astronomique. Elle est plus petite que celle de l'année dernière mais plus chaude. Il y règne une température d'environ 15 à 20° au lieu des 4 ou 5° que j'ai subi l'année dernière. Le lit est bon et propre. Il y a un grand placard dont toutes les planches sont maintenant couvertes de flacons et d'instruments provenant des cinq caisses montées en excellent état. L'ameublement est simple il se compose en outre du lit, d'une table de toilette et d'une chaise. Ma malle est posée debout et dans le jour j'emporte la chaise pour pouvoir aller au placard. La nuit je dors la porte vitrée ouverte, elle donne sur le couloir et c'est par là que ma chambre reçoit la lumière du jour; elle n'a pas de fenêtres comme toutes les chambres de l'Observatoire météorologique. Etant très sèche, les nombreuses plaques qui s'y empilent dans un coin sont à leur aise et ne s'abîmeront pas.

Les repas n'ont pas varié depuis l'année dernière. Le matin à 8h on fait un petit déjeuner composé de deux oeufs sur le plat, soit de sardines ou de saucisson, soit de jambon rôti, auquel s'ajoutent invariablement le fromage de Roquefort, le café et le rhum.

A midi on a beaucoup trop à manger, ainsi que le soir.

Le ciel est mauvais. Le vent souffle en tempête et l'observatoire reste presque toujours plongé dans un brouillard épais qui mouille tous les objets. Parfois il pleut. Hier au soir on a vu les étoiles briller au dessus de nos têtes, elles étaient bien pâles.

Les mécaniciens perfectionnent l'équatorial, peignent la coupole, arrangent l'escalier. Toutes mes caisses sont déballées. Je n'ai plus qu'à travailler si le temps le permet.

Naturellement je vais toujours bien et suis tout à fait ami avec M. Cosserat. Je n'ai fait jusqu'à présent que 4 photographies stéréoscopiques non développées.

Le météorologiste me dit qu'en ce moment midi il n'y a que +3,6°. Il ne fait pas chaud.

1er Septembre 1910

Le facteur m'apporte votre première lettre ainsi que celles de Senonque et Guérimet. ... Les bois de Verrières sont bien gentils sans doute mais je ne les ai pas en grande sympathie surtout depuis que le Pic débarrassé de ses nuages chauffe ses neiges au soleil d'été et la nuit se couvre d'étoiles. Les nuages sont descendus à 2200m; ils forment là une mer de nuages s'étendant jusqu'à l'horizon. Elle est blanche toute la journée d'un blanc qu'aucun peintre ne savait rendre. Elle est moutonnée, floconneuse et immobile. On est surpris de voir les grandes vagues brumeuses et gigantesques s'immobiliser le long des pics au lieu de déferler comme la mer. Le soir lorsque le soleil baisse vers l'Océan, à l'horizon caché par de légères brumes horizontales, la mer de nuages se dore, devient orangée, pourpre et un quart d'heure avant que le soleil ne disparaisse derrière elle, il étend sur elle sa tramée rouge vif. Tout le personnel de l'Observatoire sort et reste pendant près d'une demi-heure à contempler ce spectacle impossible à décrire. J'espère pouvoir en rapporter des photographies en couleur.

J'ai un peu travaillé à. la coupole hier au soir ainsi qu'à la lunette zénitale. Mais il me manque l'instrument de Mailhat.

M. Cosserat est descendu du Pic hier. Je l'ai accompagné jusqu'en bas, nous avons causé de choses intéressantes.

M. Baillaud a. installé la télégraphie sans fil pour recevoir l'heure de Paris à minuit. Cette nuit cela n'a rien donné. La difficulté réside dans l'antenne que l'on est obligé de tendre horizontalement dans une direction défavorable à la réception des ondes hertziennes.

Nous venons de voir trois grands vautours planant au dessus du Pic, c'est un spectacle dont je ne me lasse pas.

Je crains que le beau temps ne prenne fin. De la vallée de Barèges montent des nuages qui nous cachent le glacier du Néouvielle et ce matin on entendait au téléphone le bruit d'un orage qui n'était pas à moins de 300 km du Pic.

Cette nuit j'ai été témoin d'un phénomène remarquable. Alors que je me déshabillais et que je quittais mon gilet de coton j'entendis des crépitements. En frottant dans l'obscurité le gilet sur mes cheveux j'en ai tiré des quantités d'aigrettes électriques de 3 à 4 cm de long. Tous mes vêtements crépitaient d'étincelles par simple frottement sur mes cheveux. Cela tient à la grande sécheresse de l'air.

3 Septembre 1910

Le temps a été vilain depuis ma dernière lettre. Je n'ai pas trop à le regretter puisque tout travail à l'équatorial est impossible en ce moment. Les mécaniciens y sont encore et je n'ai pas reçu la pièce de tôle commandée à Mailhat. J'ai télégraphié hier à Kannapell pour qu'il s'en occupe sérieusement.

Nous avons été dans un brouillard épais hier. Vers minuit et demi il s'est abaissé lentement, laissant l'Observatoire couvert de fines aiguilles de givre. Ce matin les nuages avaient presque complètement disparu; une brume noyait les montagnes et l'Observatoire ressemblait, sous les premiers rayons du soleil, à une pièce de pâtisserie montée que l'on avait saupoudrée de sucre.

En ce moment il fait très beau. Le soleil brûlant a fondu et séché la terrasse et les toits.

Ne pouvant photographier Saturne pour le moment, je me rattrape en photographiant toutes les mers de nuages qui inondent la France. Deux appareils sont perpétuellement en batterie l'un a pour format 13x18, l'autre c'est mon petit stéréoscope. J'ai fait deux couchers de soleil en autochrome, m'étant trompé d'objectif, je n'ai pas assez posé et les nuages au lieu d'être dorés par la magnificence des rayons solaires semblent avoir été badigeonnés au bleu de Prusse. Cela m'apprendra à être attentif la prochaine fois.

Monsieur Baillaud (le père) est monté au Pic ce matin. Nous avons causé toute la matinée et il m'a expliqué les raisons des difficultés que l'on rencontre là-haut. Il vient inspecter officiellement l'Observatoire.

Cette nuit j'ai veillé jusqu'à minuit avec M. Jules Baillaud pour essayer d'entendre le signal horaire que la Tour Eiffel envoie. Nous n `avons rien entendu. Le poste récepteur me semble insuffisant, à moins que ce ne soit l'antenne qui a déjà l40 m de long et qui ce matin faisait le plus bel effet dans son tuyau de givre.

Les repas sont toujours abondants. La crête du Pic étant tapissée de pissenlits, on les a cueillis et l'on en fait de la salade. La dernière était formidablement aillée.. .c'est le midi qui veut ça.

Puisque j'ai maintenant un lit vaste et long il me tardera d'y revenir certainement. Cependant il faut bien avouer que le séjour du Pic m'est très agréable. M'étant pesé hier sur la bascule j'ai trouvé 6okgs (sans mes bottines). Avant de partir du laboratoire je pesais 56 kgs et je soupçonne fort qu'une des bascules se soit trompée. Jamais je n'ai augmenté de 4 kgs en 8 jours! Ce qui est surtout remarquable cette année c'est que je ne sens pas le moins du monde l'altitude.

Avec le regret que vous ne soyez pas avec moi pour contempler le merveilleux spectacle des hauts pics neigeux qui surgissent en ce moment des brumes bleutées, je vous embrasse de tout coeur.

5 septembre 1910

Le temps s'est mis au beau au Pic. La mer de nuages s'étend toujours autour de nous. Voici deux soirs que je peux observer Saturne c'est un des plus beaux spectacles que l'on puisse imaginer et M. Baillaud avec qui je l'ai observé dans la nuit de samedi à dimanche en a été émerveillé. Mailhat m'a envoyé la pièce dont j'avais besoin et dès aujourd'hui je vais pouvoir travailler sérieusement. J'ai réussi un coucher de soleil sur la mer de nuages en autochromes.

Nous avons pas mal de visites des familles des astronomes ou météorologistes, on est nombreux à table.

Ma santé est magnifique et j'emploie mon activité à l'astronomie et à la photographie.

Les ouvriers sont partis hier nous laissant la coupole du blanc le pîus éblouissant et le parquet luisant d'huile de lin cuite. Il valait mieux le graisser que le cirer sa conservation y gagne et l'astronome ne se casse pas la figure. Au reste c'est tout aussi joli.

Pendant qu'ils y étaient, ils ont tout graissé; l'escabeau dégoutte d'huile et l'instrument n'a rien à envier au mécanisme de la coupole en ce qui concerne les graisses et les huiles de toute marque et de toute consistance. Le pantalon de toile était donc absolument nécessaire, il a en outre l'avantage de me tenir chaud.

C'est cette nuit que j'ai entendu pour la première fois les signaux horaires de la Tour Eiffel. Rien dans l'installation n'avait été modifié cependant; mais le beau temps doit s'étendre et l'atmosphère était plus favorable à la transmission des ondes.

Ce soir tous les invités déguerpissent, je change de chambre et retourne dans celle que j'occupais l'année dernière, beaucoup plus commode que la mienne où je suis vraiment à l'étroit.

7 Septembre 1910

J'ai pu hier au soir utiliser la lunette zénitale. Les résultats obtenus sont magnifiques et M. de la Baume à qui je viens d'écrire en détails sera content.

Le beau temps continue mais je crois qu'aujourd'hui c'est la fin. Le ciel se couvre de cirrus, le vent qui était nul cette nuit souffle avec violence, la chaîne s'embrume. Cette nuit des éclairs jaillissaient en Espagne.

C'est là ce qu'il y a de précieux au Pic, il ne fait pas souvent beau mais les quelques jours que l'on a suffisent à payer au centuple le vilain temps. Ainsi en une nuit j'ai obtenu à la lunette zénitale de bien meilleurs documents qu'en un an à Paris.

La nuit était délicieuse, pas un souffle de vent.

J'ai allongé l'antenne pour la télégraphie sans fil et on reçoit à. minuit le signal horaire de la Tour Eiffel dans la perfection. Hier les éclairs ont beaucoup gêné la réception, ils produisaient des bruits parasites.

C'est avec une véritable émotion que j'ai reçu les premiers signaux. Cette installation avait été perfectionnée par moi. La nuit, à minuit, alors que tout le monde dort, qu'un silence écrasant plane sur les hauts sommets émergeant à peine d'une mer de nuages compacte et unie, à l'autre bout de la France à 900 km de là on nous envoie des signaux. Rien ne les arrête, ils volent avec la vitesse de la lumière au dessus de tout et viennent mystérieusement influencer le fil tendu au dessus de l'observatoire.

Au bout de ce fil se trouve une petite boîte contenant une petite pile sèche, deux bobines de fil, le détecteur d'ondes qui est l'âme de la télégraphie sans fil et dont la simplicité est enfantine (deux fils de platine dans de l'eau contenant 1/10 d'acide sulfurique) et un téléphone ordinaire. Un autre fil sort de la boîte et va se perdre dans le sol; et c'est tout.

On écoute dans le téléphone et par trois fois, à. minuit, minuit 2 min et minuit 4 min, on entend le crépitement des étincelles qui jaillissent à Paris. Pour que l'onde électromagnétique nous arrive, il suffit de un trois centième de seconde.

Le poste récepteur est posé sur une des tables du couloir. A minuit, sans la lumière de la lampe, le chronomètre sous les yeux et le téléphone à l'oreille, j'attends la série de signaux. Ils arrivent une minute avant l'heure pour prévenir.

Je suis maintenant au large dans la chambre que j'occupais l'année dernière. Je dors fort bien et mange de même.

A table nous ne sommes plus que 4 les deux météorologistes, le fils Baillaud et moi. Le fils Baillaud descendra vendredi. Nous ne resterons plus que trois et, avec les trois domestiques cela fera six. Tous les jours l'observatoire reçoit la visite des touristes. Ils sont peu nombreux cependant. Sous la mer de nuages ils ne peuvent pas croire que nous soyons dans un si beau soleil.

J'ai déjà vu sur le Pic 3 hermines, des quantités d'oiseaux inconnus, des vautours. Tout cela rapplique en ce moment. Aussi j'aperçois en ce moment le domestique derrière un piller qui attend avec un fusil de chasse et une carabine Lebel!

9 Septembre 1910

Nous nous sommes éveillés ce matin dans un brouillard épais et avec la surprise de l'obser-vatoire couvert de neige.

Les antennes de la télégraphie sans fil couvertes d'un épais manchon de glace se sont allongées de plusieurs mètres sous le poids et ont fini par se casser à un bout. C'est facilement réparable.

Il ne fait pas froid, aussi le dégel arrive et l'eau coule partout. C'est à ce moment que l'on sent particulièrement l'utilité de bonnes chaussures comme j'en ai. Elles ont du succès à l'observatoire, surtout à cause de la semelle débordante. M. Cosserat en descendant la semaine dernière s'est foulé le pouce du pied parce qu'il n'avait pas de semelle débordante.

Je reçois toujours l'heure à minuit. J'ai construit moi-même un appareil récepteur. Il ne marche malheureusement pas encore avec la Tour Eiffel parce qu'il me manque du fil pour le mettre en accord avec Paris. Mais si les ondes de la Tour Eiffel ne marchent pas avec lui, il a une sensibilité considérable montrant par cela même qu'il est susceptible de marcher une fois que la longueur d'onde qui peut le faire vibrer sera en accord avec celle de la Tour.

Me couchant vers une heure du matin, je dors jusqu'à 10h comme un bienheureux.

11 sept. 1910

Depuis ma dernière lettre le temps est devenu mauvais. Plongés dans un brouillard épais empêchant de voir tout objet à l0 m, la neige vient augmenter la blancheur de l'espace.

Il en est tombé dans la nuit de vendredi à samedi 5 à 6 cm et elle n'a pas fondu, la température restant en dessous de 0. Elle est tombée fine et grenue, dure comme la grêle et ronde comme du plomb de chasse.

Le vent l'a chassée dans les angles des maisons et des rochers, car cette neige n'adhère pas en tombant au sol comme à Paris, elle est trop sèche, elle forme dans ces coins des amoncellements de 30 à 50 cm.

J'avais vu cela l'année dernière et l'ai revu cette année sans étonnement. Seulement, cette année j'ai vu le givre que je n'avais jamais vu. C'est féerique d'aspect : les moindres objets exposés au vent du nord-est se sont recouvertes de lames de givre dans cette seule direction. Ces lames ont une structure d'une délicatesse merveilleuse, on croirait voir des boas en plume ou des houppes de duvet de cygne. Leur fragilité m'a empêché des les photographier jusqu'à présent. Autour du jardin botanique se trouve un grillage mi fil de fer surmonté de fils de ronce pour éviter que les moutons rentrent brouter l'herbe et les fleurs rares qu'on essaie d'y faire pousser. Ce fil de fer qui enlaidit le coin charmant qu'il protège est devenu de toute beauté dans le givre. Chaque maille du grillage a. une lame de givre de 4 ou 5 cm de long et la ronce qui est un peu plus grosse en supporte de 8 à 9 cm de long et 2 à 3 cm d'épaisseur. Tous les instruments en sont recouverts et nos pauvres antennes de la télégraphie sans fils, surchargées de verglas et de givre se sont rompues et gisent lamentablement par terre.

Une seule de 69m de long tient bon. Elle est formée d'un fil de cuivre rouge récroui de 2mm de diamètre solidement attachée à des isolateurs de porcelaine. En ce moment elle est entourée d'un manchon de glace de 5cm de diamètre. Les autres ont cassées parce qu'elles étaient en simple fil de sonnerie. Nous n `avions malheureusement pas autre chose.

J'ai encore refait mon poste récepteur et attends impatiemment la fusion de la neige pour accrocher les antennes et écouter l'heure.

M. J. Baillaud est descendu hier. Nous ne sommes plus que trois à table. J'ai oublié de vous dire qu'il y a un phonographe ici!

13 sept. 1910

La neige et le brouillard continuent. J'en profite pour préparer mes prochaines observations en fabriquant toute la journée des écrans colorés, opérations que je tente pour la première fois et qui donnent d'excellents résultats.

J'a i commandé à Bagnères une paire de Snow-Boots. Ceux que j'avais emportés de Paris prenaient l'eau par les semelles complètement percées. Je suis bien obligé d'en avoir car mes deux paires de bottines, si utiles par temps secs, sont froides sur la neige. Les snow-boots au contraire me tiennent chaud dans la neige.

Le gibier est parti avec le vilain temps et vous n'aurez pas le plaisir d'en manger...ni nous non plus.

15 sept. 1910

Le vilain temps diminue un peu. La neige est restée sur le sol. Ce matin le soleil a fait son apparition. Le verglas ayant fondu, j'ai extrait à coups de pelle les antennes de dessous la neige et les ai remontées.

Ma santé est toujours excellente, quoiqu'un peu enrhumé du cerveau depuis hier. Aujourd'hui on m'a monté mes snow-boots. Ils sont tout-à-fait confortables et je commençais à les attendre avec impatience car j'ai attrapé le rhume de cerveau à cause de mes bottines.

Je dois vous dire qu'à l'Observatoire c'est moi le moins malade, tout le monde, sans exception, tousse et je suis le seul qui reste sans tousser. Le ciel restant couvert le soir je vais me coucher de bonne heure. Surtout ne vous effrayez pas de mon rhume de cerveau, car il a l'air de disparaître. Cela ne m'empêche nullement de travailler et hier j'ai termine une série de huit écrans colorés.

17 septembre 1910

Mon rhume de cerveau est guéri depuis hier matin. Le temps s'est mis au beau, il fait chaud, et le soleil éclaire un panorama de montagnes neigeuses et de plaines sans un nuage.

A part la soirée passée à la lunette zénitale je n'ai fait que des observations visuelles et pas encore une seule photographique. Cela est le résultat du vilain temps.

Je me vois obligé de prolonger mon billet car le mois d'octobre peut être beau comme il le fut l'année dernière.

Pendant cette période de vilain temps j'ai mis mes journées à profit pour faire des écrans colorés qui vont me servir à photographier Saturne au travers. La plus grande partie de mon temps a été occupée à la télégraphie sans fil. J'ai le plaisir de vous annoncer qu'hier j'ai pu accorder l'appareil que j'ai fabriqué moi-même, avec la Tour Eiffel. Il y a eu en effet des radiotélégrammes chiffrés qui, toute la journée et la soirée ont traversé l'espace et que l'antenne du Pic définitivement remontée a recueillis. Cela m'a permis de faire de nombreux essais et à 11h du soir j'arrivais enfin au bout de mes peines j'entendais les signaux télégraphiques avec mon appareil aussi bien qu'avec celui que M. Baillaud m'avait laissé. A minuit j'entendis l'heure. J'ai donc démonté aujourd'hui celui de M. Baillaud pour le lui renvoyer dans l'Aveyron.

Depuis 15 jours sans aucune indication j'y ai travaillé parce que je sais que M. de la Baume s'y intéressera beaucoup. J'y suis arrivé avec les seuls souvenirs que j'ai appris à la Sorbonne. Ce matin je reçois par Kannapell un livre sur la T.S.F. qui va me permettre d'augmenter la puissance du poste récepteur.

C'est qu'en effet j'ai une idée dont je n'ai encore causé à personne. Mes expériences de ces soirs derniers, pendant que des orages étaient à l'horizon, m'ont montré la sensibilité du poste à ces perturbations électriques et je crois qu'il serait possible d'utiliser les postes récepteurs à la prévision des orages un ou deux jours à l'avance. La question est à étudier.

Je me fais aider le soir par le cuisinier pour la manœuvre de la coupole

J'ai appris au Pic le maniement du télégraphe ordinaire et ce matin j'ai passé une dépêche amusante à l'assistant de M. Marchand à Bagnères. J'arrive à lire assez bien les signaux Morse. C'est une connaissance utile dont j'aurai peut-être besoin plus tard.

19 sept.01910

Le vilain temps continue. C'est désespérant!

Cette nuit il a plu. La température est devenue plus douce.

Hier au soir dimanche, nous nous sommes réunis dans la cuisine autour de l'âtre où flambaient des bûches, pour boire le vin chaud. Nous nous sommes tous couchés à 10h.

Je ne me suis pas ressenti du rhume de cerveau. Maintenant j'ai une mine superbe!

On a monté 15 poules à l'Observatoire. Elles sont gelées. On les voit sur la terrasse debout sur une patte la tête rentrée dans le cou, elles n'osent pas bouger.

Je profite du vilain temps pour continuer mon apprentissage de télégraphiste. Samedi soir à minuit moins 5, la Tour Eiffel a communiqué quelque chose, mais mon habilité ne va pas encore à comprendre au son les signaux Morse. Cependant je comprends les chiffres au son.

Je ne m'ennuie pas. Il y a une bibliothèque très garnie. M. Marchand nous a envoyé les derniers journaux scientifiques et littéraires. J'étudie la télégraphie sans fil.

J'ai encore modifié le poste récepteur. A 11h ce matin la. Tour Eiffel nous a envoyé une dépêche à laquelle je n'ai absolument rien compris.

21 Septembre 1910

Le beau temps est revenu depuis ce matin mais cette nuit la neige et le verglas sont tombés.

Deux antennes sont encore cassées!

Je profite de ce beau temps pour me préparer aux observations de ce soir. Le fils Baillauud qui a été très aimable avec moi m'a fait envoyer des plaques photographiques spéciales pour l'astronomie de position de l'Observatoire de Paris. Je vais les employer à la lunette zénitale.

J'ai fait des photographies du verglas sur les antennes. Vous aurez une idée du poids qu'elles ont eu à supporter cette nuit d'après une pesée faite ce matin les 224 m d'antenne portaient plus de 100 kgs de glace! (105 kgs exactement)

23 septembre 1910

Votre lettre arrive au milieu du brouillard revenu ce matin.

J'ai pu travailler avant-hier et hier. Je devrais dire plus exactement que j'ai pu commencer le réglage des instruments car je n'ai pas encore photographié. Le mouvement d'horlogerie de l'équatorial refuse obstinément d'entraîner la lunette. Je crois le remède facile, il suffit de changer les huiles; celles qui graissent les axes sont gelées.

Lorsque tout sera réglé, je crois que les résultats seront supérieurs à ceux de l'année dernière à en juger par la beauté de l'image de Saturne sur le verre dépoli.

Hier au soir nous avons terminé le repas au champagne. C'est au fils de l'hôtelier, qui habite au pied du Pic du Midi, auquel nous sommes redevables de cette générosité. Il tenait à regarder dans l'équatorial, nous l'avons invité à dîner et il a apporté la bouteille.

Dans la journée j'étais descendu à l'hôtellerie. J'en suis remonté en guidant deux docteurs de Paris qui m'ont invité à dîner chez eux en reconnaissance de l'ascension qu'ils ont faite.

Nous voyons des bolides en ce moment et j'ai failli en photographier un magnifique au dessus de la mer de nuages.

25 septembre 1910

Le temps au Pic est fantastiquement beau. Aujourd'hui dimanche on voit les aéroplanes évoluer à Tarbes (avec une lunette). Le facteur n'est pas monté, ce sont les âniers qui ont apporté les lettres. Ils vont descendre et je ne puis vous écrire longuement.

J'ai entendu à minuit avec un appareil de ma construction le crépitement des étincelles de la Tour Eiffel comme si j'étais au Champ de Mars!

27 Septembre 1910

J'ai pu observer seulement deux nuits. Elles ont été fécondes et m'ont laissé le vif désir de continuer les travaux astronomiques. Malheureusement le vilain temps est revenu.

J'entends toujours à minuit l'heure de la Tour Eiffel.

29 Septembre 1910

Après deux jours de beau temps le ciel s'est couvert et la pluie tombe en rafales. Les travaux astronomiques n'avancent guère! Aujourd'hui j'écris à M. de la Baume pour lui demander la permission de rester encore un peu au Pic afin d'exécuter ce que j'y ai entrepris. Je lui donne des détails précis sur l'emploi de mon temps pendant ce mois. Il trouvera dans ma lettre la quantité de nuages qu'il y avait au ciel à 9h du soir, à minuit et à. 3h du matin pour chaque jour depuis mon arrivée le 26 août. En regard je lui donne en résume mon travail, et ma lettre se termine par ce qu'il me reste encore à faire.

Je voudrais bien revenir encore à Paris pour vous embrasser et reprendre la vie familiale. Mais prenez un peu patience; je ne puis revenir bredouille, il faut rapporter du bon travail.

Dans la journée je ne m'ennuie pas, je calcule l'obs. du soir; je prépare différents objets, je développe des photographies.

La nuit à minuit j'entends très bien l'heure de la Tour Eiffel, ce qui m'a permis de faire des travaux de précision et de déterminer la longitude du Pic au moyen de la lunette zénitale.

On m'annonce que le Préfet des Htes. Pyrénées et le député Noguès, de l'arrt. montent au Pic lundi. Grand émoi à l'observatoire. M. Marchand monte aussi pour leur faire les honneurs de la maison. Le météorologiste de Lourdes, NI. Latreille, descend pour un mois de vacances samedi. Je vais me trouver à peu près à la tête de l'établissement et vais recevoir ces “hautes personnalités”! Il est donc probable que je ne vous écrirai pas lundi.

1er Octobre 1910

Depuis deux jours je n'ai pu faire aucune observation astronomique. La pluie arrive à chaque instant en rafales violentes; le ciel est généralement couvert et les instants pendant lesquels on peut voir le soleil, ou les soir les étoiles, sont extrêmement courts.

Un plafond de nuages épais cachant les hauts sommets de la chaîne déverse des torrents de pluie. Le vent hurle dans les haubans des paratonnerres.

Hier au soir à 9h les paratonnerres se sont couverts de feux St. Elme (ce sont des effluves électriques bleues). La pointe du paratonnerre était bleue et les haubans métalliques étaient remplis d'aigrettes brillantes de plusieurs centimètres et d'étoiles qui couraient un peu dans tous les sens. La pluie tombait à torrents. Le phénomène a augmenté d'intensité. Le toit de la maison où je couche était rempli d'effluves électriques et la coupole s'est couverte du côté sud de lueurs mobiles parsemées d'étoiles brillantes.

Je suis sorti avec le météorologiste et ma barbe et mes moustaches se sont couvertes de petites étincelles électriques qui couraient dans tous les poils. Mes vêtements étaient parsemés d'effluves et lorsque nous nous regardions nous nous voyions mutuellement couverts de lueurs électriques. Ayant mis le doigt en l'air, une magnifique aigrette en houppe qui sifflait s'est formée instantanément au bout du doigt. Elle avait 3 cm de long.

Ma santé est excellente, il ne fait pas froid. Dans la journée je fais surtout des calculs astronomiques.

3 Octobre 1910

Je reçois votre lettre contenant les coupures de journaux sur la mort de Chavez. J'ai appris sa mort par les journaux “La Dépêche” et “Le Pyrénéen” que nous recevons là-haut.

La pluie tombe sans arrêt. Les fortes chaleurs que vous subissez à Paris ont leur contrecoup ici. On est arrivé à un maximum de température de 8°. Habituellement on a 1 ou 2° ce qui est très chaud pour le Pic.

Depuis ce matin on est dans le brouillard. Par instants on aperçoit la mer de nuages dont la partie supérieure est à 2800m. On soupçonne un peu le soleil. Peut-être la partie supérieure des nuages n'est pas à plus de 100 m au-dessus de l'Observatoire. J'espère qu'au coucher du soleil ils s'abaisseront et que ce soir on pourra travailler. Je commence à. être très inquiet, je n ai encore rien fait de sérieux à cause du vilain temps. Cette année a été exceptionnelle.

J'ai souffert des dents il y a quelques jours. La moitié de la bouteille de baume dont je m'étais muni y a passé. Je n'ai plus du tout mal.

Le Préfet et le député ont dû être épouvantés par le vilain temps ils ne sont pas montés!

Vous verrez au dos de l'enveloppe un dessin de Saturne. Je prépare maintenant rues observations en bloc au moyen de la polycopie.

7 Octobre 1910

Nous avons eu quelques jours de beau temps. J'ai photographié Saturne et n'ai pas trop mal réussi. Malheureusement le brouillard monte et nous ensevelit à nouveau et voilà rues débuts compromis.

Le préfet et le député sont montés hier avec M. Marchand. On avait pavoisé l'observatoire. Leur présence n'a rien apporté de remarquable.

9 Octobre 1910

Je vais bientôt être de retour à Paris, vers la fin de la semaine probablement ou au commencement de l'autre si le beau temps me permet d'utiliser encore une ou deux soirées. Aujourd'hui une de mes caisses descend, puis bientôt les autres les suivront.

Le temps est toujours aussi vilain, il neige mais il ne fait pas trop froid cependant. Dans une éclaircie que nous avons eu tout à l'heure, j'ai aperçu la chaîne blanche de neige.

11 Octobre 1910

J'ai décidé de partir du Pic jeudi 13. Le temps ne s'est pas mis un seul instant au beau. En ce moment le vent souffle en tempête et la pluie tombe par instants mais très peu. La descente s'effectuera jeudi après-midi. Le soir je coucherai à Gripp chez M. Bran. Le lendemain je serai à Bagnères. Je partirai le jour même pour Toulouse où je resterai la journée de samedi. Je partirai de Toulouse samedi soir et serai à Paris dimanche matin.