Les feux Saint-Elme au Pic du Midi en 1910

Communication de Fernand Baldet à la société astronomique de France,

parue le bulletin de la société astronomique de France, 1911 page 23.

Pendant mon séjour au Pic du Midi, j'ai été témoin de feux Saint-Elme très intenses. Le 30 septembre 1910, vers 9 h 10 minutes du soir, l'un des météorologistes de M. Labayle, me signalait que les feux Saint-Elme commençaient à être bien visibles aux extrémités des grands paratonnerres situés sur le côté sud de l'Observatoire. Une pluie torrentielle s'abattait à ce moment sur le Pic. Je sortis sur la terrasse et vit en effet les pointes des paratonnerres entourés d'effluves électriques bleu pâle. En peu d'instants, ces effluves grandirent en même temps que la pluie redoublait de violence. Bientôt, ils semblèrent atteindre une vingtaine de centimètres de longueur, et mes yeux s'étant habitués à l'obscurité, je distinguai nettement aux angles des toitures en zinc des houppes violacées qui se répandaient en dansant sur tous les objets métalliques exposés à la pluie.

Celle-ci m'obligea à battre en retraite d'un observatoire pour y aller chercher un autre costume, car mes vêtements étaient complètement mouillés. Je ressortis quelques instants après en compagnie de M. Labayle, non sans avoir eu soin de cacher les lampes de l'observatoire dans la lumière éclairait la pluie et gênait l'observation. Je n'étais resté à peine qu'une ou deux minutes à l'intérieur, mais ce temps si court avait suffi pour permettre aux phénomènes de se développer d'une manière incomparable. Les haubans métalliques qui maintiennent les paratonnerres étaient garnis du haut en bas d'effluves bleus et d'étoiles brillantes blanches courant le long de ces câbles. Tout ce qui était métalliques sans être recouverts de peinture, était lumineux

Pour mieux voir le phénomène et faire quelques expériences, nous étions allés au bord de la terrasse. En y arrivant, nous vêtements se garnir de petites étincelles et en s'approchant le plus près possible, des effluves prirent naissance sur les paries élevées du corps. Le phénomène augmentait toujours d'intensité. Maintenant, des aigrettes et de petites étoiles couraient sur le visage et j'avais dans les moustaches et dans la barbe plus d'une cinquantaine d'étincelles minuscules. Nos têtes étaient garnies par place de feux de Saint-Elme bleutées, et ayant allongé l'index en l'air, une magnifique houppe en forme de pinceau évasé de trois centimètres de long s'y posa, tandis que des effluves irréguliers dansaient sur le restant de la main, sur le poignet, sur le bras et qu'une plaque uniformément lumineuse, de forme ovale ayant 5 cm sur 7 centimètres environ, apparaissait sur l'épaule et, de tous les feux Saint-Elme dont nous étions couverts, disparaissait la dernière lorsqu'on s'éloignait suffisamment du bord de la terrasse. Je regardais avec étonnement cette houppe bleutée, ces effluves et ces étincelles car ils ne provoquaient absolument aucune sensation physiologique. M. Labayle, tout aussi parsemé d'effluves que je l'étais, ne ressentait absolument rien. Nous étions portés alors à un très haut potentiel et toutes nos aigrettes sifflaient et crépitaient légèrement comme le font les machines statiques en pleine marche. En fermant la main, la houppe disparaissait et en élevant à nouveau le doigt, elle réapparaissait après avoir mis deux à trois secondes à s'établir. Si j'ouvrais tous les doigts, la houppe s'éteignait aussitôt et jamais deux houppes n'ont existé ensemble à la même main. On y distinguait nettement les colonnes anodiques comme des aigrettes positives et elle tenait au doigt par une petite tige cylindrique de cinq mm de long sur deux mm de diamètre environ.

Autour de nous, le spectacle était magnifique. Les paratonnerres, le hauban, une portion de 75 mètres, non recouvertes d'isolant de l'antenne pour la télégraphie sans fil, les toits en zinc, les pièces métalliques anguleuses de la coupole, le câble qui rattache les trappes à la terre, les tiges de fer pointues et courtes dont l'observatoire météorologique est entouré, la girouette avec ses quatre points cardinaux et jusqu'aux plaques de marbre recouvrant les piliers de la terrasse, tout était recouvert ou parsemé de houppes atteignant jusqu'à 20 cm, d'aigrettes bleutées et d'étoiles blanches de 1 cm de diamètre environ. À ce moment la moitié sud de l'observatoire semblait flamber par place, tandis que toute la moitié nord-est restait dans une obscurité profonde.

À l'intérieur on ne s'apercevait de rien. J'allais y chercher des objets métalliques pointus et un parapluie. En retournant sur la terrasse, ils me donnèrent des étincelles courtes, accompagnées de secousses peu douloureuses. Un porte-plume avait la pointe garnie d'un petit point brillant semblable à une aigrette négative. Lorsqu'on se réfugiait sous le parapluie, nous cessions d'être lumineux, et il fallait se laisser mouiller stoïquement et même bien mouiller pour donner naissance aux feux Saint-Elme. Le plus étrange était de voir ces étoiles brillantes blanches et sensiblement rondes ressemblant à des aigrettes négatives, se croiser, se mêler et même traverser les houppes délicatement ramifiées, rappelant des aigrettes positives sans qu'elles semblent se gêner. J'ai principalement bien vu ce phénomène sur l'antenne qui, entouré d'une gaine d'effluves bleus de 5 à 6 cm de diamètre, était parsemée de ces étoiles blanches. Peu à peu, la pluie devint moins violente, les feux Saint-Elme s'affaiblirent, et un quart d'heure après leur apparition, l'observatoire reprenait sa physionomie nocturne habituelle.